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En Guinée, les dernières années du régime d’Alpha Condé furent très éprouvantes pour la presse !

En Guinée, les dernières années du régime d’Alpha Condé furent très éprouvantes pour la presse !

Dans les années qui ont précédé la chute du régime de l’ex-président Alpha Condé, la démocratie fut soumise à rude épreuve. Cela s’est matérialisé par la dégradation de la situation des droits humains et de la liberté de la presse. Ainsi, plusieurs journalistes guinéens se sont retrouvés dans le collimateur du régime du “premier président démocratiquement élu” de Guinée. Entre menaces, intimidations et emprisonnement, la liberté de la presse connut une période éprouvante. Si pour beaucoup d’entre eux cet épisode les a rendus plus forts et plus jaloux de leur liberté, certains estiment tout de même que le fait que cela ait pu se produire dans un régime “démocratique” montre qu’il y a encore du chemin à faire et qu’il faudrait rester constamment vigilants.

Les associations de presse URTELGUI, AGUIPEL, APAC, REMIGUI, UPLG, AGEPI, UFSIG, SPPG, AJPRG et l’UPF-Guinée qui s’étaient retrouvées le 22 août 2019 en réunion d’urgence pour échanger « sur la violation manifeste » de la Loi L002 portant sur la liberté de la presse en Guinée, « marquée par le placement sous contrôle judiciaire de M. Diallo Souleymane, Fondateur du Groupe de presse Le Lynx-La Lance-Lynx FM et Boubacar Alghassimou Diallo dit Abou Bakr, Directeur Général de la Radio Lynx FM », ont regretté et dénoncé « avec force que ces confrères [qui viennent s’ajouter aux cas des journalistes placés sous contrôle judiciaire et/ou en procès, comme Mohamed Bangoura, Directeur de Publication du site Mosaiqueguinee.com, Lansana Camara, Directeur de Publication du site Conakrylive.info] soient poursuivis sur la base de la loi L037 portant sur la Cybersécurité et la Protection des données à caractère personnel ».

« Un harcèlement illégal »

L’organisation internationale qui défend la liberté de la presse à travers le monde, Reporters sans frontières (RSF), avait exigé « la libération immédiate » de Lansana Camara « conformément à la loi sur la presse qui exclut les peines d’emprisonnement pour sanctionner les  délits de presse en Guinée ». Poursuivant, l’ONG avait déclaré que cette arrestation « constitue une entrave à la liberté d’information et une manière d’empêcher le journalisme d’investigation ».

Sur le cas des journalistes Souleymane Diallo et Boubacar Alghassimou Diallo, de la radio Lynx FM « placés sous contrôle judiciaire pour des propos tenus par une auditrice », Reporters sans frontières (RSF) avait dénoncé « un harcèlement illégal » et réclamé « l’abandon des poursuites à leur encontre ».

Dans leurs différentes déclarations, ces organisations de défense de la liberté de la presse ont toutes fait mention d’entrave à la liberté de la presse et de poursuite contre trois journalistes. Poursuivis sur la base de la loi sur la Cybercriminalité, au lieu de loi L002 portant sur la Liberté de la presse, les professionnels de l’information, tout comme d’autres citoyens, furent inquiétés vers la fin du second mandat d’Alpha Condé.

Ancien reporter du journal le Lynx et directeur général de la radio Lynx FM, Boubacar Alghassimou Diallo fait partie des journalistes poursuivis par les autorités sous le régime déchu. Ses déboires remontent à août 2019, pour l’émission Oeil de Lynx du 31 juillet. Ce jour-là, son confrère et lui avaient donné la parole à Doussou Condé, qui avait profité de l’occasion pour porter des graves accusations à Dr Mohamed Diané, à l’époque ministre de la Défense nationale, et très proche d’Alpha Condé. « Dame Doussou Condé a fait une liste de domaines acquis par ce Monsieur en Guinée et à l’extérieur ; ensuite une [autre] liste, selon elle, de malversations financières dans laquelle trempe ce proche collaborateur proche d’Alpha Condé, et puis d’autres… Elle a attaqué vraiment la haute sphère des intouchables du régime (…) Dieu sait que nous avons vraiment fait la balance, on s’est battus contre vents et marées pour prendre la défense de ceux qui ne sont pas là. On le faisait, mais elle avait aussi son mot à dire. Donc, elle revenait souvent à la charge et nous, on la dissuadait jusqu’à ce qu’elle a dit des choses parfois qu’on n’a pas pu canaliser malheureusement, ou qu’on a canalisé bien sûr mais qui a été mal interprété », se souvient encore celui qui est plus connu sous son surnom Abou Bakr.

Deux semaines après l’émission, une convocation fut adressée le 16 août 2019 à M. Diallo, qu’il devait répondre le lundi suivant à la Direction de la police judiciaire (DPJ) pour « atteinte à la haute sûreté de l’Etat et complicité pour la confection et la diffusion d’informations de nature à troubler l’ordre public ». Toutefois, « ce sont les propos qu’elle a tenus dans cette émission que la justice nous a reprochés », précise le Directeur général.

Comme lui, de nombreux journalistes à l’époque tombèrent dans les filets de la « justice ». Cette répression des journalistes a eu un impact direct sur le classement de l’ONG Reporters sans frontières (RSF) qui dresse son bilan sur la situation de la liberté de la presse et d’expression dans le monde. En 2020, la Guinée s’est retrouvée à la 110e place contre 107e place en 2019 et 103e place en 2018. Ces classements permettent de comprendre la descente aux enfers de la presse guinéenne ! RSF avait souligné que « le régime Alpha Condé n’est pas tendre envers les médias ». Ce triste constat s’était expliqué notamment par la poursuite et la détention des journalistes en Guinée, et le musèlement de la presse. Et la notation se fait sur les critères relatifs aux moyens légaux et judiciaires pris pour défendre la liberté de la presse et punir ceux qui y portent atteinte, les conditions locales d’exercice de la liberté de la presse et les conditions de liberté d’accès aux informations par les résidents du pays.

Déjà en mars 2019, Lansana Camara, administrateur de Conakrylive.info et correspondant de l’agence Chine Nouvelle en Guinée s’était retrouvé en détention, suite à la publication d’un article sur une tentative de détournement de fonds au niveau du ministère des Affaires étrangères et des Guinéens de l’étranger. « Ils m’ont fait appel à la DPJ, je suis venu, j’y ai passé près de deux semaines. Je venais tous les jours à 8h pour quitter à 18H. L’officier avait la charge de m’entendre sur PV. Ils m’ont entendu sur PV durant deux semaines et c’est au terme de la deuxième semaine finalement que la DPJ a transféré le dossier au niveau du parquet, au tribunal de première instance de Kaloum… Tout est parti vite. On s’est retrouvé de la DPJ au parquet vers 17H ; et vers 18H, le juge d’instruction avait déjà fait le mandat de dépôt et ce mandat devait immédiatement me conduire à la Maison centrale (la principale prison de Conakry, ndlr) », explique le journaliste trois ans après les faits.

Malgré l’existence d’une loi sur la liberté de la presse, la loi L002, qui dépénalise les délits de presse pour les exposer à des amendes et sanctions, les journalistes sont jugés sur la base d’autres lois, notamment celle relative à la Cybercriminalité. « C’était le 1er juillet 2019, ma date de convocation mais je n’ai été à la DPJ que le 02. La plainte, c’était ‘diffamation à l’encontre du chef de l’Etat’ après avoir publié une tribune de Fodé Baldé qui est le responsable de la communication digitale du parti UFR (Union des forces républicaines, ndlr). La tribune était intitulée : “Alpha Condé à la tête de la CEDEAO, au revoir à la démocratie en Afrique”. Et la tribune, on l’a publiée bien je crois en juin, et c’était deux semaines après qu’on nous a signifiés une plainte pour diffamation à l’encontre du chef de l’Etat. Cette diffamation a d’abord été mise sous le coup de la loi sur la Cybercriminalité alors que les délits de diffamations sont prévus par le texte sur la loi de la liberté de la presse [mais qui sont moins sévères] », relate Mohamed Bangoura, journaliste, Directeur de publication du site Mosaiqueguinee.com.

Pour le site d’informations Guineematin.com, ce fut un coup plus dur : blocage total ! En cause, un direct fait sur sa page Facebook montrant les opérations de dépouillement dans des bureaux de vote, au soir de la présidentielle du 18 octobre 2020. Les mesures prises à l’encontre du média connu pour l’indépendance de sa ligne éditoriale sont particulièrement sévères.  « La suspension est intervenue le 18 octobre 2020, au soir, à l’occasion de l’élection présidentielle (…) A peine arrivée dans mon salon, le journal avait commencé. Et là, j’entends le communiqué à la RTG où on est en train d’annoncer la suspension de Guineematin, on précise que j’ai refusé ce que la HAC m’a demandé (…) A l’intérieur du pays, les préfets commencent à menacer mes journalistes qui étaient en direct, qui ne savaient rien. Ils étaient en train de filmer les opérations de dépouillement. La décision a été publiée au journal de 20h30 (…) On nous a suspendus pour un mois, mais au-delà de nous suspendre, on nous a aussi présentés comme des adversaires du régime », confie Nouhou Baldé, fondateur et administrateur général de Guineematin.

Des actions de « harcèlement » qui ont eu des impacts directs sur le fonctionnement de ces médias

Entre baisse de lectorat, pertes de marchés et dysfonctionnements au sein des rédactions concernées suite à ces actions de « harcèlement », ces journalistes ont connu des moments difficiles. Plusieurs années se sont écoulées depuis les faits, mais les conséquences sont encore perceptibles sur le fonctionnement de ces médias, assurent leurs promoteurs. Toutefois, avec le soutien de certains confrères, ils essaient tant bien que mal de s’en sortir. Si à Lynx FM, l’interdiction d’animer l’émission Oeil de Lynx pendant deux mois et le placement sous contrôle judiciaire de ses animateurs n’ont pas engendré de grands dysfonctionnements au niveau de la rédaction, tel ne fut pas le cas pour les administrateurs de sites.

Pour Mohamed Bangoura qui affrontait la justice pour la première fois, son site prenait des retards dans la publication des articles alors que Lansana Camara, incarcéré pendant une semaine, était complètement empêché de travailler. « Ça m’a traumatisé et ça a déstabilisé la rédaction parce que mes collaborateurs qui me consultaient, à qui je donnais des instructions, je ne pouvais plus le faire. La rédaction ne pouvait pas fonctionner à ce moment-là et l’impact était que les gens appelaient mon numéro, notamment quand j’étais en prison, il y a eu des partenaires avec qui j’avais des petits contrats d’affichage… Cela a eu un impact négatif sur le travail et moralement, je crois que c’est déstabilisant, également décourageant, ça démotive dans l’exercice du métier », confie-t-il.

Constat identique à Guineematin.com qui a perdu des contrats et vu un problème de fonctionnement interne naître. « Cela a failli me fâcher avec les journalistes, les reporters, me créer un problème interne dans le fonctionnement du site (…) Cette situation a fait que nous avons été présentés comme des adversaires du régime d’alors. Ce qui est faux ! Économiquement, on a perdu beaucoup de marchés (…) On nous a empêchés de continuer (de couvrir l’élection), on a donc perdu des lecteurs, un peu en confiance puisque des gens nous ont pris pour des adversaires du pouvoir en place. Il y a eu énormément de problèmes et assez de déception parce qu’on nous a obligé de critiquer des anciens amis », se désole Nouhou Baldé.

Jaloux de leur liberté

Si l’objectif était d’intimider et de museler la liberté d’expression, ces journalistes assurent en être ressortis plus que déterminés. « Ça m’a encore renforcé, amené des personnes qui ne me connaissaient pas à chercher à me connaître (…) On a compris ce que nous, Lynx FM, on représentait pour l’opinion publique. Honnêtement, c’est au bout de la souffrance qu’on a la gloire ! Depuis cet épisode, Lynx FM et l’émission Oeil de lynx font une audience encore plus grande. Notre audience, notre prospérité a quadruplé et notre côte de popularité est montée crescendo », se félicite Abou Bakr.

« L’enseignement, c’est qu’il ne faut jamais avoir peur (…) Si vous savez que vous avez peur d’exercer ce métier, il faut le quitter. Parce qu’avec la peur, vous ne pouvez vraiment pas être à la hauteur et être journaliste. Un journaliste n’a pas peur. Tu exerces ton métier tel quel, mais vous avez obligation quand même d’être impartial, indépendant et toujours recouper l’information avant de la diffuser », conseille avec fierté Mohamed Bangoura. 

Nouhou Baldé, après cette mésaventure, dit avoir retenu que les dictateurs ne sont pas les seuls méchants dans le pays. « C’est souvent des hommes et des femmes quelquefois qui travaillent avec vous qui deviennent vos bourreaux, servent la dictature, rendent la vie difficile aux honnêtes citoyens, et je pense que les Guinéens doivent continuer à se battre pour imposer le respect de la loi, afin que celle-ci soit la seule référence qui s’impose à tout le monde. Je pense que l’enseignement qu’on a tiré, c’est d’être encore plus prudents mais de savoir tenir bon parce que, après tout, honnêtement, on n’a pas regretté notre comportement parce qu’on n’a violé aucune loi. Je pense que ce sont ceux qui ont agi contre la loi, les principes, les règles, la liberté, ce sont eux qui ont des regrets aujourd’hui », estime le fondateur de Guineematin.com.

Avec la chute du régime d’Alpha Condé et l’arrivée aux affaires de la junte militaire dirigée par le colonel Mamadi Doumbouya, ces journalistes se sentent plus en sécurité. Mais ils estiment qu’il reste encore du chemin à faire. « Je pense que si les journalistes se laissent faire, pensent qu’ils ont des textes ou un environnement démocratique suffisant, ils se trompent. Il faut que chaque jour, les uns et les autres se battent pour au moins préserver ce que nos aînés ont réussi à acquérir pour nous (…) Les uns et les autres doivent toujours de façon constante être vigilants », conclut Nouhou Baldé.

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